• Terre de Sienne de Bruno Moutard

     Terre de Sienne de Bruno MOUTARD éditions Epona - 15 euros - Patrick Courault pour la photo splendide de la couverture. 

    Terre de Sienne de Bruno Moutard

    Pour situer le lieu où se situe l'histoire : La Sienne est un fleuve côtier qui prend sa source dans le Calvados sur la commune de Saint-Sever-Calvados, et se jette au havre de Regnéville dans la Manche. 

    La Sienne prend sa source en forêt de Saint-Sever et coule en prenant la direction de l'ouest, puis s'oriente au nord-ouest à partir de Villedieu-les-Poêles. Elle arrose ensuite Gavray et Quettreville-sur-Sienne avant de rejoindre la Manche au havre de Regnéville après un parcours de 92,6 km4 dans l'extrême sud-ouest du Calvados et le centre-Manche.(source wikipédia).

    Résumé au verso du livre 

    Alexandre, après une escapade parisienne, revient sur ses terres. Elles lui ont tant manqué ces terre de Sienne entre Régnéville et Agon. Dans ses bagages, Véronique, passionnée comme lui de nature sauvage et de grands espaces. Tout semble bien parti pour l'aventure du coeur, mais... Mais il y a Léa, la jeune, très jeune et trop jolie Léa. Il y a Marc aussi, un homme au service d'une grande société ne reculant devant rien pour arriver à ses fins, et tous ces hommes de l'ombre.

    Intrigues, manipulations, complots sont les maîtres-mots de cette histoire palpitante.

    Mon ressenti

    Il s'agit d'un grand roman où se mêlent  des séquences de vies heureuses dans un environnement magnifique que je connais bien pour l'avoir parcouru durant des années avec mon propre groupe de randonneurs de l'époque " Les Quatre Monts " un environnement qu'il faut défendre des parasites modernes que sont les prometteurs qui n'hésitent pas à imposer un remembrement dévastateur dans le seul but de rentabiliser et de spéculer pour l'aboutissement d'une usine à touristes néfaste à la sérénité du lieu. L'auteur décrit passionnément les bocages bas-normand et son littoral sublime. Il nous conte des amours, des amitiés sincères, des intérêts malsains qui nous dépassent, des coups montés odieux.. des craintes pour la vie d'une enfant innocente et d'un homme sain de corps et d'esprit.. c'est un roman complet, poignant et passionnant et très bien écrit, un roman comme je les aime.

    Alexandre revient d'un long séjour à Paris où il rencontre la belle Véronique, ils s'aiment, ils s'adorent l'un l'autre (deux belles pages d'amour superbement écrites P.186/187). Ils décident ensemble de revenir sur les Terres de Sienne dont Alexandre n'arrive pas à se passer. Lui est enseignant à Coutances et elle est secrétaire de mairie dans une communauté de commune du même canton. Ils sont l'un et l'autre très engagés dans la lutte pour la sauvegarde du patrimoine hélas très prisé par des faiseurs de rêves "cimentés". Dans leur village, ils se lient de grande affection pour une jeune adolescente orpheline, Léa, elle est prise en charge par des grands-parents responsables et aimants qui l'ont pris sous ses ailes à la mort de ses parents. Léa et Alexandre, tous deux amoureux des grands espaces, de la nature et de la faune, se retrouvent dès qu'ils le peuvent pour des sorties de pêche à la ligne, de pêche à pieds ou de contemplation de toutes sortes d'oiseaux évoluant dans ce superbe endroit. La toute jeune fille dessine beaucoup et lui, explique et partage ses connaissances avec elle qui est passionnée.

    Avec Véronique ils sont tous les trois de fervents défenseurs de l'environnement. Mais leur tranquillité va se troubler dès l'arrivée de farouches ennemis d'un autre camp celui qui n'a pas de scrupule, celui animé d'un seul but à atteindre celui de dévaster une grande partie de la région pour y édifier un complexe touristique. Des gens prêts à tout qui viennent de Paris pour comploter, prendre des photos, des mesures mais compte-tenu du rejet absolu de ce projet désastreux par une grande partie de la population il va s'amorcer un déchaînement de cabales malsaines et de coups-bas crapuleux qui pourraient chambouler définitivement la vie paisible des protagonistes , oui  mais c'est sans compter l'amour et les attaches sincères et intègres qui les unissent.

     Les extraits choisis

    page 13... Alexandre aime cette route plus que toute autre. A partir du Pont de la Roque jusqu'à Coutainville, la touristique suit le havre de la Sienne, épouse ses sinuosités, souligne ses immensités de bancs de sable délaissés par la mer. Sans les discerner puisque les écharpes de brume s'entêtent dans les creux, il sait que ces minuscules points blancs sont, ici des mouettes rieuses, là des goélands argentés et, à la limite de la laisse de mer, sans doute ces étonnants tadornes dans leur parure de clown. Les randonnées pédestres en solitaire lui ont enseigné la vie en ces lieux enchantés : le cri des courlis fuyant l'intrus, le chant modulé des pipits maritimes ou l'aboiement des huîtriers pie courant après une bande de limicoles...

     page 22 - A nouveau les fourmis. Elles grignotent l’extrémité de ses doigts. S'ajoutent les grains d'épiderme. Il fait frisquet. Comme la veille, la brume est là. Elle doit le suivre. Alexandre descend dans l'herbe mouillée en titubant sous le poids des cannes et de tout l'équipement. L'excitation grandit au fil des pas. Ce poste de pêche, il l'a repéré depuis des semaines. En connaît chaque courbe, chaque trou, chaque arbre couché dans son lit. Il pourrait se laisser glisser les yeux fermés. D'ailleurs l'horizon est si court que voir ne sert à rien. La transpiration de la nuit opacifie la vision, invitant le contemplatif aux croyances mystérieuses. Sorcières, fées, muses doivent se dissimuler. Sans doute se chamaillent-elles parmi les feuilles tombées, s'aspergeant de rosée. Gonflé à l'hélium des espoirs, il s'encourage en pensée. Le brouillard va mettre du temps à se lever. En général, ce n'est pas mauvais...

    page 13... Alexandre aime cette route plus que toute autre. A partir du Pont de la Roque jusqu'à Coutainville, la touristique suit le havre de la Sienne, épouse ses sinuosités, souligne ses immensités de bancs de sable délaissés par la mer. Sans les discerner puisque les écharpes de brume s'entêtent dans les creux, il sait que ces minuscules points blancs sont, ici des mouettes rieuses, là des goélands argentés et, à la limite de la laisse de mer, sans doute ces étonnants tadornes dans leur parure de clown. Les randonnées pédestres en solitaire lui ont enseigné la vie en ces lieux enchantés : le cri des courlis fuyant l'intrus, le chant modulé des pipits maritimes ou l'aboiement des huîtriers pie courant après une bande de limicoles...

    page 36 - Dans l'esprit d'Alexandre, fécond en matière de paraboles, cette zone herbue représente un corps bien vivant étendu sur le dos. La rivière Sienne est le coeur. Elle refoule son sang par des milliers d'artères, de veines, et de fins capillaires. Aux marées d'équinoxe, une hémorragie déferle dans tous les organes. Cet estuaire vit au rythme des saisons. Il est la vie. 

    page 37 - Léa regarde ses bottes. Alexandre, le ciel. Il est couci-couça. En Normandie, il montre souvent son mauvais caractère. En ce jour c'est le cas. Des mouettes rieuses, des goélands argentés, quelques sternes exécutent pirouettes et piqués, ballet blanc virginal sur un ciel de nuit. De quoi s'évader, se perdre ou se retrouver dans ce spectacle grandiose, la tête renversée, cheveux au vent. Cette nature en constante évolution défie l'homme et le domine. Elle donne des leçons de vie à qui veut l'écouter. Et Alexandre est loin d'être sourd...

    page 50 - (Léa) Elle ne s'ennuie pas, les occupations sont nombreuses même dans cette petite pièce qui s'ouvre par la fenêtre embuée vers des horizons fabuleux. Elle aurait simplement aimé les partager avec des êtres chers. Naturellement elle aime ses grands-parents, mais Louise et Adrien ne partagent pas les mêmes passions. Ils ne savent pas rêver. Ils ne maîtrisent pas cet art de vie qui permet de laisser voguer son esprit vers des destinations inconnues, de quitter ce monde terrestre matériel pour atteindre des îlots de verdure où les animaux et les végétaux sont rois. Bref, ils ne subliment pas. Ils vivent au quotidien. Rien de plus. Simple et rationnel enchaînement des jours. Ils s'occupent bien d'elle, la choient à leur manière, satisfont ses besoins élémentaires, mais ne lui permettent pas de s'envoler...

    page 59 - Le maire à fait voter le remembrement. Il a déjà essayé il y a trois ans en arrière, mais le projet était tombé à l'eau. Ce coup-ci, la décision est prise. Avec le haut de Tourville et Heugueville déjà remembrés, ils vont tout nous foutre en l'air. Le vent va s'engouffrer dans l'embouchure de la rivière, s'accélérer comme dans un conduit et déferler sur les coteaux. Nos terres vont recevoir tous les embruns et les sols seront salés. Le chlorure de sodium c'est pas bon pour la culture. Sans compter les tonnes de sable déversées dans les champs. Il ne manquerait plus qu'ils continuent sur Merville et Agon et des centaines d'hectares seraient aux quatre vents...

    Explications du mot remembrement c'est l'aménagement foncier qui consiste à grouper de petites parcelles dits bocages ou clos ici, en rasant les haies vives et les arbres qui ont pris racines sur le haut des fossés. Des bocages pouvant appartenir à différents propriétaires sont alors redessinés en parcelles plus grandes, de manière à obtenir une utilisation plus rationnelle et plus rentable des sols au détriment d'un équilibre naturel indispensable. Ces précieuses haies engendrent des "chasses" ou "caches" en fait, des chemins creux et étroits desservant un ou plusieurs clos et se rattachant aux "rues" ou chemins ruraux. Les haies préviennent entre autres raisons des effets néfastes du vent, de la pluie et protègent et abritent un petit monde très diversifié d'animaux et d'insectes.

    Page 74 - ... " Ce paysage qui nous berce de rêves, ils vont le détruire. Des siècles de vie, d'évolution lente réduite en cendres en quelques semaines. Tous ces camaïeux d'ocre et de verts aux nuances si variées seront anéantis pour céder la place au monochrome gris ciment. Endiguer, bétonner les berges, canaliser le moindre ru, tronçonner, arracher, bâtir, bétonner, enduire. C'est le triomphe du technicien, l'emprise de l'homme moderne. Tu sais Véro comment ils se qualifient eux-mêmes ? - Aménageurs du territoire !Tu parles. Dans ce cahot ils ne réservent qu'une part infime aux espaces verts, juste pour respecter la loi, leur loi. Une oasis de verdure dans un désert de mortier " ...

    Page 107 - ... " Durant une bonne heure, ils s'acharnent dans la pierraille. De vrais bagnards heureux du supplice qu'ils subissent. Les pétoncles, les brins de bouquets, les praires s'offrent sans résistance. Puis ils décident de rejoindre la limite de la marée basse. Et c'est au tour des étrilles et des tourteaux de se laisser prendre. Enfin, les tourteaux, parce que les étrilles et leur pinces acérées combattent avec vigueur... Tout en remontant, ils s'abandonnent en silence au manège des oiseaux marins. Le rituel immuable se reproduit chaque fois que la mer joue son ballet, ce va-et-vient éternel, comme au premier jour. Devant les premiers ourlets de vagues, les petits limicoles se gavent de crustacés ensablés " ...

    Page 109 - ... " Au réveil, il bondit comme un léopard. Ce n'est guère son habitude, il est plutôt lézard. Il se jette sur le carreau. Il pleure. Vibre. Gémit. De l'autre côté, la bête n'en a pas fini avec le bocage. Un véritable déluge qui tord les saules et couche les peupliers. Il ose à peine imaginer le spectacle sur l'océan. En cette période forts coefficients, la mer doit-être démontée, portée par un vent du diable. Elle doit attaquer les enrochements, mordre les digues, avaler les dunes, cracher ses embruns sur les façades des premières maisons, chasser les oiseaux vers l'estuaire."  ...

    Page 115 - ... " Je me pose des questions. Des tas de questions. Pourquoi trois notables du coin reçoivent-ils des plis d'une grande entreprise de tourisme ? Pourquoi les remercie-t-on ? Le séjour dont ils parlent est-il une sorte de récompense ? Pourquoi Monsieur le Maire de Heugueville ferme-t-il son bureau à double tour ? Pourquoi toutes ces cachotteries ?  " ...

    Je ne mets ici que quelques extraits en rapport avec les paysages et les parties de plaisir et de bonheur purs qu'ils suscitent, si vous êtes tentés par une grande histoire et si vous ne connaissez pas encore le littoral Bas-Normand en général, lisez ce livre. En effet, Bruno Moutard entraîne ses lecteurs sur des chemins de randonnées grandioses, des parties de pêche à pieds et pêche à la ligne magnifiquement contées et puis tout à coup les plonge dans une ambiance qui va crescendo en direction du désastre... à moins que... à vous de lire pour savoir le fin mot de l'histoire.

    Les personnages sympathiques nous attendrissent quant aux autres ils nous embarquent dans un combat sans merci car élaboré dans le seul but de détruire et d'anéantir. Sans sombrer dans l'extrémisme écologique on peut prendre parti naturellement pour un camp plutôt que pour un autre en lisant ce bel ouvrage.

    Je dis un grand bravo à cet auteur qui grimpe.. grimpe vers une notoriété autre que locale bien qu'excellent régionaliste, une notoriété plus nationale serait vraiment méritée.

    Terre de Sienne de Bruno Moutard

     

     

    « 1er au 17 décembre 2016Le temps de l'hiver »
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